Entre l'air et l'eau

Les vrais principes de la psychologie humaine

Benoît Léonard
Psychologue

82 avenue E. Müllendorff,
B-4800 Verviers
Belgique

 

Extrait du n° 5: des modèles pour s'entendre

 

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Entretenir des relations personnelles

4. S'amuser ensemble

On dit qu'on a besoin de rencontrer des gens pour rester en bonne santé, mais à quoi bon établir et entretenir des relations avec les gens si on ne se plaît pas en leur compagnie? On ne peut pas simplement "décider" d'aimer les contacts quand on ne les aime pas!

La plupart des gens qui n'aiment pas fréquenter les autres souffrent en fait de ne pas maîtriser quelques compétences de base. Ils désirent des relations mais ils en redoutent les difficultés. Tout rentre dans l'ordre quand ils apprennent les bonnes méthodes.

Mais il y a aussi ceux qui savent comment se comporter avec les autres pour ne pas avoir d'ennui, mais qui ne trouvent aucun plaisir dans les relations sociales "ordinaires". Sont-ils condamnés à la solitude ou aux relations utilitaires, ou bien peuvent-ils apprendre à apprécier les rapports personnels?

Ce que j'ai appris sur la question pendant mes études se résume à peu de choses.

Je crois pourtant que l'on peut enseigner le plaisir des contacts personnels à condition de se donner les outils adéquats. Il faut observer les vrais problèmes et chercher des solutions pratiques, plutôt que de condamner les gens en "expliquant" leurs problèmes avec des théories fumeuses.

Rappelons que les relations sociales sont dangereuses quand on ne respecte pas les normes. Nous avons d'ailleurs étudié ces normes dans les chapitres précédents, ainsi que quelques techniques pour s'y conformer sans trop de peine. On peut acquérir des automatismes pour respecter les règles sans effort. Les relations deviennent alors moins pénibles, mais elles restent ennuyeuses. Il faut autre chose pour se plaire avec les autres.

Je vois trois possibilités: utiliser de bonnes techniques de concentration pour transformer en jeux les routines sociales, trouver des partenaires dont les compétences compensent vos faiblesses, et jouer ensemble avec les règles.

Utiliser les bonnes techniques de concentration

Si vous ne pouvez pas compter sur vos partenaires pour s'amuser avec vous, alors utilisez les techniques mentales (celles du TOME I) et les techniques relationnelles de base (celles du TOME II) pour vous amuser vous-même avec eux. Si vous vous y prenez bien et que vous respectez scrupuleusement vos partenaires, ils y trouveront leur compte et vous aussi.

Partager les compétences

Parfois les compétences relationnelles de l'un compensent les carences de l'autre. Il suffit alors de mettre ses compétences en commun pour s'entendre et s'amuser ensemble.

Exemple:

Henri sait se défendre et respecter un horaire, mais il n'a pas le sens de l'orientation et il ne connaît pas les bonnes promenades. Martine connaît les plus beaux coins de la forêt, mais elle n'ose pas s'y aventurer seule. Ils pourront se plaire ensemble s'ils décident de s'unir pour aller en forêt.

Bernard ne sait pas gérer les disputes, mais il sait très bien rouspéter quand il n'est pas entièrement satisfait. Andrée sait très bien gérer les disputes et les terminer dans son intérêt, mais elle voit mal les besoins des autres. Andrée et Bernard ont tous les deux des carences importantes, mais ils pourront trouver beaucoup de plaisir ensemble, car les forces de l'un annuleront les faiblesses de l'autre.

Le même principe de partage peut s'appliquer aussi pour la gestion mentale.

Exemple: Collette passe volontiers du coq à l'âne. Elle sait bien s'amuser, mais elle a du mal à poursuivre un travail jusqu'au bout, ce qui lui attire souvent des ennuis. Gaston, lui, a tendance à trop fixer son esprit. Il a du mal aussi à terminer ses travaux, parce qu'il s'engourdit à son bureau. Ces deux-là semblent avoir le même problème: ils ne finissent rien à temps. Pourtant, s'ils peuvent s'entendre, ils formeront une équipe très efficace: les fantaisies de Collette empêcheront Gaston de s'engourdir, et la persévérance de Gaston ramènera Collette à l'ouvrage.

Jouer ensemble avec les règles

Le plus grand intérêt des relations personnelles vient probablement de la possibilité qu'elles offrent de jouer ensemble avec les règles des relations sociales.

Les relations sociales standardisées imposent beaucoup de contraintes, mais quand on connaît un peu ses partenaires, on n'a plus besoin de les respecter toutes.

Exemple: Il ne faut pas dire du mal des gens en public, ni exprimer trop clairement ses opinions, car on risque toujours de vexer quelqu'un ou de se faire des ennemis. Mais on peut se laisser aller un peu quand on sait à qui on a affaire.

Exemple: Il ne faut pas trop se détendre en public, car on risque de dire des bêtises difficiles à rattraper. Mais la plupart des gens deviennent moins susceptibles quand on les connaît un peu, alors on doit moins se surveiller avec eux.

Il y a aussi quelquefois des relations privilégiées, où l'on peut décider ensemble de ne pas respecter toutes les règles.

Exemple: Dans la famille, il est de coutume de s'embrasser à Noël. Cela se fait sans en parler, parce que c'est ainsi. Mais l'oncle XXX a horreur de ce genre d'effusion, et il me l'a dit. Alors nous ne respectons pas la règle commune et nous négocions, à chaque fois, notre manière de nous saluer.

Dans certains cas, avec certaines personnes, on peut prendre délibérément des attitudes normalement interdites, parce que tout le monde comprend bien qu'il s'agit d'un jeu.

Exemple: Lors de ma réunion du mercredi je m'arrange toujours pour avoir la fenêtre à ma droite. Julie tient à s'asseoir dos au radiateur, qui se trouve devant la fenêtre. Tout le monde connaît nos exigences. Or il se trouve que les fenêtres et les radiateurs ne changent pas de place. Alors Julie se trouve toujours assise à côté de moi pour la réunion. Comme nos motivations réelles sont connues de tous, nous pouvons en afficher d'autres: nous jouons de temps en temps les amoureux.

Ces relations sociales "privilégiées" sont très agréables, et souvent amusantes, parfois même comiques pour l'entourage, s'il comprend ce qui se passe "en vrai". Bien sûr, il ne faut pas les confondre avec certaines relations abusives, où l'un des partenaires impose ses règles à l'autre qui devient vite sa victime.

Caricaturer les règles explicites

On peut établir des relations plus personnelles en caricaturant les normes sociales explicites ou les modes du moment.

Exemple: Le chef a une nouvelle lubie: il ne veut plus qu'on parle des absents. Pour m'en amuser avec mes collègues, je refuse de parler de l'horaire du laitier tant que je ne vois pas sa camionnette, car il ne faut pas parler de ce pauvre homme en dehors de sa présence. (Je pourrais aussi refuser de parler des consignes de mon chef quand il n'est pas là, et m'arranger pour qu'il en soit prévenu. Je pourrais alors l'accuser d'avoir parlé de moi dans mon dos!)

La caricature des normes explicites est une manière de réaffirmer ses valeurs dans l'action. On montre ainsi où sont les choses importantes, sans passer par l'analyse théorique, et on peut reconnaître ses alliés sans trop s'engager soi-même.

Exemple: Je veux savoir lesquels de mes collègues pourraient s'allier avec moi contre le chef. Alors je les prend un à un, et je leur confie un avis personnel peu flatteur pour le chef, mais sans grand danger pour moi. Si chacun a entendu une critique différente, je saurai facilement qui m'a trahi si le chef me demande des comptes!

Dire du mal des autres

On peut aussi faire connaître ses valeurs et renforcer ses alliances en médisant. Dire du mal de ses ennemis communs permet en effet de faire savoir, par contraste, ce qu'on apprécie chez ses alliés, ou ce que l'on attend d'eux.

Exemple: Si je dis à Juliette que je n'aime pas Martine parce qu'elle parle tout le temps pour ne rien dire, Juliette comprendra qu'elle ne doit pas être trop bavarde avec moi, ou que j'apprécie sa discrétion.

Quand on s'en prend aux mêmes personnes pour les mêmes raisons, on a l'impression de faire partie d'un même monde et de poursuivre des idéaux similaires, ce qui est très agréable et très valorisant.

Exemple: Juliette et moi n'aimons pas les bavardages, et nous préférons les communications simples et brèves. J'apprécie donc la compagnie de Juliette, car nous sommes bien assortis sur ce point-là comme sur beaucoup d'autres.

Inversement, quand on ne parvient pas à critiquer les mêmes personnes, cela veut dire que l'on ne partage pas les mêmes valeurs, et qu'il vaut probablement mieux s'en tenir à une relation professionnelle... Et préciser ensemble ses normes professionnelles.

Exemple: La boulangère ne partage pas mes convictions politiques, mais ce n'est pas grave: je peux apprécier son pain même si je n'apprécie pas ses idées! je m'abstiendrai de critiquer le gouvernement devant elle, et nous pourrons discuter des normes de qualité qu'elle respecte, et que certains de ses concurrents négligent.

Jouer avec ses limites

Une des formes les plus abouties et les plus dangereuses du plaisir partagé consiste à jouer ensemble avec ses limites. Cela ne peut se produire que quand toutes les autres techniques sont suffisamment maîtrisées. Il faut donc bien se connaître avant de s'y risquer.

Le jeu le plus simple se passe comme ceci:

  1. Albert annonce une faiblesse personnelle, plus ou moins passagère;
  2. Bernard prend des mesures pour compenser la faiblesse d'Albert;
  3. Albert reconnaît ces mesures, et fait savoir qu'il apprécie;
  4. Bernard menace Albert de ne plus l'aider (en réalité Bernard propose un jeu);
  5. Albert fait mine de prendre la menace au sérieux (c'est ici que le jeu commence)
  6. les partenaires précisent, plus ou moins explicitement, leurs valeurs ou les limites de leur relation.

Observons un exemple pour mieux comprendre ce qui se passe quand deux personnes jouent avec leurs limites.

Exemple:

– Bonjour Albert, comment vas-tu?

– (1) Pas très bien, je dois dire. Je n'ai pas beaucoup dormi.

– Tu as l'air malade aussi.

– Oui, je crois que je couve quelque chose.

– Es-tu bien sûr de pouvoir travailler?

– Je ne peux pas me permettre de prendre congé.

– Ah oui, je me souviens. L'affaire XXXX.

– Oui, je ne peux pas rater un truc pareil.

– Mais tu n'es quand-même pas capable de travailler normalement. (2) Ecoute: je vais m'occuper de l'affaire UUUU, ainsi tu pourras te concentrer sur XXXX.

– Merci Bernard, c'est bien gentil, tu es trop bon pour moi (3: ici, Albert invite Bernard à jouer)

– Mais non, c'est tout naturel. (4) Et puis cela prouvera que je peux très bien faire ton travail à ta place.

– (5) Faites confiance à un vilain! Il fait mine de vous aider, et puis c'est seulement pour vous bouffer. Il n'y plus d'amis!

– (6) Qu'est ce que tu veux, on vit dans un monde pourri, il faut bien savoir se défendre ! (Ici, Bernard s'exprime avec le ton et les mots du ministre WWW, qu'il déteste et qu'Albert méprise profondément.)

– Oui, et c'est tellement plus facile contre les malades et les petits (Albert montre qu'il a compris l'allusion: il répond avec une référence à la dernière décision du ministre, qui a injustement sanctionné un sous-fifre).

– (4) Il me semble que tu réfléchis vite pour un malade... (Bernard accepte la conclusion d'Albert à propos du ministre, et propose de recommencer le jeu sur un thème un peu plus difficile: les maladies imaginaires et les escroqueries à la mutuelle.)

Vous trouverez d'autres exemples de conversations de ce genre dans le TOME III, qui vous parlera des relations d'intimité.

 

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